Margrethe de Danemark et ses mille et une vies

À 83 ans, la dernière souveraine régnante au monde fait le choix d'abdiquer.

Elle avait toujours affirmé vouloir régner jusqu’à son dernier souffle. Ce 14 janvier, Margrethe II de Danemark renonce finalement au trône en faveur de son fils aîné, qui lui succède sous le nom de Frederik X.

Dernière souveraine régnante au monde depuis la disparition d’Elizabeth II, elle aura été pendant cinquante-deux ans une reine passionnée par son métier sans pour autant lui être totalement soumise, une reine avec un franc parler, des diplômes, un penchant certain pour les robes sensationnelles, le spectacle et la nicotine.

À l’heure où Margrethe décide de quitter son piédestal, marguerite se dépêche de l’y replacer le temps d’un numéro exceptionnel. On y célébrera une femme hors du commun, mais aussi une certaine idée de la liberté, les manteaux de pluie bouton d’or, l’amitié, les liens entre les belles-mères et les belles-filles, les vignes du sud-ouest de la France et les livres.

Vous avez le programme.

C’est parti…

Le dire… avec des fleurs

Les Danois ont compris la décision de Margrethe II, qui a subi une opération du dos en 2023 et abdique principalement pour raisons de santé. Celle-ci conserve son titre de reine, et le droit d’exercer la régence du royaume.

Sereine. Pour présenter ses vœux télévisés aux Danois le soir du 31 décembre et leur annoncer son départ, la souveraine se pare de la fleur qu’elle préfère entre toutes et dont elle a fait son emblème : la marguerite. Elle a piqué sur sa robe la broche dont lui a fait cadeau sa mère, la reine Ingrid. Les diamants du bijou avaient autrefois appartenu à sa grand-mère, la princesse Margareta de Suède, qu’elle n’a jamais connue mais dont elle a hérité le surnom, « Daisy ».

🌼 Le saviez-vous ? Daisy, c’est le mot anglais qui veut dire… marguerite.

Un chapeau galette, trois pas de danse, une cigarette…

Quand le roi est une femme

La princesse Margrethe, cigarette à la main, en 1968. En 2012, la reine monte sur scène pendant le spectacle de l'école de danse Susanne Heering, à Copenhague. En 2017, dans son célèbre imperméable jaune à grosses fleurs, qu’elle a créé… à partir d’une toile cirée.

👒 Chez elle tout est grand, le bleu des yeux, la taille (un mètre quatre-vingts), le sens de la répartie, les chapeaux, les chignons. Et la franchise. Margrethe ne s'est ainsi jamais trouvé aucun mérite à être à la fois femme et chef d'État. « Il y a des femmes qui ont un métier auxquelles elles sont parvenues par leurs propres moyens. Celles-là on peut les féliciter, il a fallu qu'elles se battent pour sortir du rang. Moi, non. »

🎭 La reine parle cinq langues, elle possède aussi un diplôme d'archéologie décroché à Cambridge, le sens du théâtre et une manière bien particulière de parler d'elle comme si elle voulait s'assurer que personne, jamais, ne puisse se tromper sur son compte. À dix-huit ans ? « Je ne me trouvais ni jolie, ni bonne », dit-elle. La succession ? « L'idée qu'hériter du trône impliquait la mort de papa était une idée lourde à porter, et qui me répugnait. » Le mariage ? « Je pensais : "Qui, au monde, va oser se lier à une reine ?” »

👑 Lorsqu'elle accède au trône, le 14 janvier 1972, Margrethe Alexandrine Thorhildur Ingrid de Danemark est pourtant mariée (par amour) à un Français, Henri de Laborde de Monpezat, et mère de deux enfants, Frederik, trois ans, et Joachim, deux ans. Elle est alors la première femme à régner de plein droit sur le pays d'Hardegon. Avec sa longue silhouette enveloppée de fumée de cigarette et d'interminables robes framboise, elle devient une incarnation vibrante de la royauté, sans que la royauté, justement, semble avoir de prise sur elle.

🎨 Margrethe adopte un nom d’artiste (Ingahild Grathmer), traduit Simone de Beauvoir avec son époux, illustre Tolkien et Andersen, expose ses peintures, ses dessins et ses collages jusqu’aux États-Unis et au Japon. Exerce pendant toute la durée de son règne le double métier de créatrice de costumes et de scénographe pour les plus grands théâtres du royaume.

🇩🇰 Monstre sacré des monarchies européennes, elle est aussi tout son contraire, une femme accessible avec laquelle les Danois sont encouragés à prendre rendez-vous pour venir parler des soucis du quotidien, et dont le numéro de téléphone du secrétariat privé va rester pendant des années dans l’annuaire. Margrethe signe les lois du gouvernement, arpente les rues de Copenhague pour faire ses courses et, tous les 31 décembre à la télévision, donne des conseils de vie à ses compatriotes.

👸 Avec elle, ces derniers découvrent qu'il y a bien des manières d'être reine, et ne l'en aiment que davantage quand elle se livre à eux comme à des amis chers. Lorsqu’elle leur raconte ses regrets de ne pas avoir eu suffisamment de temps pour s'occuper de ses enfants quand ils étaient petits, ou encore qu'elle est de ces femmes qui se regardent beaucoup dans les miroirs. Au milieu des années 1970, la moitié seulement des Danois se disaient monarchistes. Ils sont aujourd'hui plus de 80 %.

📍Le saviez-vous ? Il a fallu un référendum et un changement de Constitution, en 1953, pour que Margrethe devienne l’héritière du trône – elle avait alors treize ans. Avant cette date, les femmes ne pouvaient pas régner sur le Danemark.

L’album photos

Reine en France

Le bel été. En 1974, la reine Margrethe et son époux, le prince Henrik (ici en 2006), achètent le château de Cayx, dans le Lot. C’est là que, tous les ans au mois d’août, s’épanouira leur vie de famille auprès de leurs enfants et petits-enfants (ici en 2014). Les habitants de Cahors côtoieront régulièrement la souveraine sur le marché de la ville. Henrik, lui, fera replanter les 21 hectares de vignes du domaine, qui produisent aujourd’hui un vin réputé. Le prince est décédé en 2018.

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La citation

Enfant, je n’aimais pas du tout les princesses de contes de fées. Je n’étais pas comme elles.

Margrethe II

C’est leur histoire

Elizabeth II, la figure inspirante et l’amie

Photo 1 : les deux souveraines au château de Windsor, en 1974. Photos 2 et 3 : pendant la visite d’État d’Elizabeth II à Copenhague, en 1979. Photo 4 : aparté entre reines lors des commémorations du Débarquement, à Ouistreham, en 2014.

Le 21 avril 1947, une princesse de sept ans écoute à la radio le discours prononcé par l'héritière du trône de Grande-Bretagne pour son vingt et unième anniversaire. Ce jour-là, Elizabeth exprime l’engagement de toutes ses forces, de tout son être, dans la mission qui l’attend.

Margrethe ignore encore qu’elle succédera à son père, le roi Frederik IX, mais les paroles de Lilibet résonnent étrangement en elle, comme prémonitoires de son propre destin. En janvier 2012, à l’occasion des célébrations du quarantième anniversaire de son accession, la reine de Danemark admet avoir toujours considéré cette allocution comme l’expression de l’essence même du métier de monarque. Les deux femmes sont alors amies depuis longtemps.

« Regarde comment les choses sont faites en Angleterre. »

Margrethe effectue son premier séjour outre-Manche en 1952, l'année où Elizabeth devient reine. La Grande-Bretagne est un pays dont elle se sent proche et que ses parents lui citent en exemple chaque fois qu'elle exprime son inquiétude de l'avenir. « [Ils] me disaient "regarde comment les choses sont faites en Angleterre”, et je voyais que tout cela en valait la peine, qu'il était possible d'avoir une existence pleine et enrichissante, même avec un emploi du temps chargé et un job exigeant. »

Un père qu’elles adoraient, l’amour des chiens. Du caractère.

Elizabeth II et Margrethe II ont en commun une arrière-arrière-grand-mère (la reine Victoria), l’amour des chiens, mais aussi d'avoir accédé au trône jeunes sans avoir eu beaucoup de temps pour profiter de leur vie d'épouse et de mère de famille ; d'avoir succédé à un père qu'elles adoraient, d'avoir du caractère, de considérer leur condition de reine comme un engagement irrévocable et un métier à part entière. Margrethe admire aussi la manière avec laquelle Elizabeth s’efforce de remplir sa tâche sans jamais cesser de sourire. « Elle a pourtant dû faire face à tant de choses », dit-elle souvent.

« Nous nous donnons des nouvelles de nos enfants. »

En privé, les deux femmes s'appellent par leurs petits noms respectifs, Daisy et Lilibet. La reine de Danemark n'aime pas les longues conversations au téléphone, alors la reine de Grande-Bretagne l'invite toujours à déjeuner lorsqu’elle est à Londres. « Et là nous parlons de ce qui se passe dans son pays et dans le mien, et nous nous donnons des nouvelles de nos enfants. »

« Elle va terriblement nous manquer. »

Le 8 septembre 2022, à l'annonce de la disparition d'Elizabeth II, Margrethe, « profondément émue », est le premier souverain régnant à adresser ses condoléances au nouveau roi Charles III. « Votre mère était très importante pour moi et pour ma famille, écrit-elle. Elle était une figure dominante parmi les monarques européens, et une grande source d’inspiration pour nous tous. Elle va terriblement nous manquer. »

Margrethe et Mary

Belle-mère, belle-fille

Septembre 2000. Le destin, qui sait parfois bien faire les choses, place Mary Donaldson sur le chemin du prince Frederik, dans un bar de Sydney. Elle est née à Hobart, en Tasmanie, et travaille dans une agence de publicité. L’héritier du trône de Danemark, lui, est là pour soutenir les athlètes du royaume engagés dans les jeux Olympiques d’été. Pendant des mois, ils vont vivre un amour et une histoire simples – la monarchie, l’avenir, ils auront bien le temps d’y penser. Le 8 octobre 2003, jour des fiançailles du couple, ses nouveaux compatriotes découvrent une future princesse de 31 ans qui maîtrise déjà leur langue à la perfection. Et dont la seule ambition est d'« être une Danoise ».

Quand la reine s’invite pour le thé…

Mary avait emménagé à Copenhague depuis quelques mois déjà lorsque, un après-midi, Margrethe s'était invitée, un peu à l'improviste, pour le thé. Leur première entrevue avait été une réussite. Le soir du mariage, en mai 2004, la reine loue le calme et la force intérieure de sa belle-fille, l'assurance qui émane d'elle, l'affection et l'admiration qu'elle lui inspire. La jeune Australienne porte déjà le rôle comme si celui-ci avait été écrit pour elle, Margrethe sait que le jour où son fils accédera au trône elle sera son meilleur atout. « Puissions-nous, dit-elle, nous montrer dignes de sa confiance. »

Le ton est donné. Pendant vingt ans, la souveraine et sa belle-fille ne seront que soutien et phrases épatantes l'une pour l'autre. Margrethe remet à Mary l'insigne de l’ordre de l'Éléphant (la plus haute distinction du royaume) que portait autrefois sa mère, la reine Ingrid. En 2019, elle la nomme conseillère d'État – la jeune femme pourra dès lors, si besoin, assumer seule la régence du royaume.

Le 14 janvier 2024, le roi Frederik X et la reine Mary accèdent au trône de Danemark. Sur ce portrait, la jeune femme arbore un diadème de rubis et de diamants autrefois créé pour Désirée Clary, une Française devenue reine consort de Suède et de Norvège en 1818. Le couple a quatre enfants, Christian, né en 2005, Isabella (2007), et les jumeaux Vincent et Joséphine (2011).

Cet amour qui lui a fait traverser les mers

Depuis qu'elle a épousé Frederik, Mary a cheminé sûrement, elle a appris à devenir une personnalité publique, à représenter son pays sur toutes les scènes. Lors d'un entretien télévisé accordé pour ses cinquante ans, début 2022, elle s'est livrée un peu plus que d'habitude. Elle a parlé de ce qu'elle perçoit aujourd'hui comme « un sacré voyage », a raconté cet amour qui lui a fait traverser les mers, sa vie avec ses quatre enfants, Christian, Isabella, Vincent et Joséphine. Et le lien qu’elle a tissé avec Margrethe. Décidément « un super boss », dit-elle.

Vos questions

Nous avons réuni les questions que Dominique, qui réside à Aix-en-Provence, et Louise, qui vit à Montargis, nous ont envoyées par email.

« Comment va se dérouler l’abdication ? Frederik X sera-t-il couronné ? »

  • Le cérémonial sera sobre et bref. La reine Margrethe signera sa déclaration d’abdication au cours d’une réunion du Conseil d’État, en présence de son fils aîné, Frederik, et de son petit-fils, le prince Christian, qui portera désormais le titre de prince héritier. Le tout ne durera pas plus de 15 minutes.

  • Frederik X sera ensuite proclamé par la Première Ministre danoise Mette Frederiksen depuis le balcon du palais de Christianborg, siège du Parlement – une tradition depuis 1849. À l’issue d’un bref discours, le nouveau souverain révélera sa devise (là aussi, c’est une tradition). Frederik et son épouse, Mary, étant extrêmement populaires, plusieurs centaines de milliers de Danois sont attendus dans les rues de Copenhague.

  • Au Danemark, les rois ne sont plus couronnés depuis l’instauration de la monarchie héréditaire, en 1665. Avant cette date, les souverains étaient élus.


    📍Un mot en passant. En danois, le passage d’un règne à un autre se dit tronskifte (ça peut toujours servir).


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Quelques infos à emporter

💍 Culte. Les bracelets, broches, bagues, boucles d’oreilles et autres colliers ornés de marguerites qu’affectionne Margrethe II sont issus pour la plupart de la collection Daisy du joaillier Georg Jensen. Les bijoux – à partir de 60 euros – s’inspirent de celui offert par le fondateur de la marque à la reine Ingrid, à l’occasion de la naissance de sa fille aînée, en 1940.

🪡 Chic. Les gants de la nouvelle reine Mary (comme ceux de sa belle-mère) viennent de la maison Rhanders, le plus ancien gantier au monde. En France, au XVIIIe siècle, la reine Marie-Antoinette aimait déjà ses créations, délicatement parfumées à la fleur de calamus.

📕 Passionnant. Le livre de souvenirs de Margrethe de Danemark, Le métier de reine, paru en 1990, est toujours disponible sur le marché de l’occasion, notamment ici.

📺 Artiste. Margrethe II a créé les costumes et les décors d’Ehrengard ou l’Art de la séduction, une adaptation de la nouvelle de Karen Blixen diffusée sur Netflix. Les coulisses de la production du film font également l’objet d’un documentaire sur la plateforme, dans lequel la souveraine raconte son travail.

Tables Royales

Le Flæskesteg est le plat de fête préféré des Danois – on le voit ici cuisiné par la princesse Marie, l’épouse du prince Joachim (le fils cadet de la reine Margrethe).

Pour 6 personnes : 1,2 à 1,5 kg de longe de porc avec couenne, 2 cuillères à café de gros sel, 50 cl d’eau, une dizaine de feuilles de laurier ou quelques clous de girofle, 200 g d’oignons. Pour la sauce : 200 g d’oignons, 2 cuillères à soupe de farine, 5 cl de crème fraîche, 50 cl de jus de cuisson, 1 cuillère à soupe de gelée de groseilles.

  • Inciser la couenne sur toute la longueur du rôti, en prenant soin de ne pas couper la viande. Peler et couper l’oignon en quartiers.

  • Passer un peu de gros sel dans les entailles de la couenne et y insérer ensuite les feuilles de laurier (fraîches, si possible) ou les clous de girofle.

  • Placer le rôti sur une grille dans un plat allant au four, afin que le rôti soit légèrement surélevé. Ajoutez l’eau et les oignons.

  • Enfourner à froid et laisser cuire 1 h 30 à 200° (th. 7). En fin de cuisson, baisser la température à 150° (th. 5), jusqu’à ce que la surface du rôti soit bien dorée. Prélever du jus de cuisson pour la sauce, et laisser reposer la viande 20 mn sous une feuille d’aluminium, hors du four.

  • Pour la sauce : faire fondre le beurre dans une casserole. Hors du feu, ajouter la farine et mélanger. Remettre sur feu doux et ajouter le jus de cuisson, la crème et la gelée de groseilles (facultatif). Saler, poivrer et fouetter jusqu’à épaississement.

  • Couper la viande en tranches fines puis la servir nappée de sauce.

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Photo : Keld Navntoft / Kongehuset

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Sources : la plupart des citations de la reine Margrethe sont extraites de ses Mémoires, Le métier de reine (Fayard, 1990).

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