Sur sa peau

Le parfum d'une reine raconte toujours son histoire...

Bonjour, et merci pour votre fidélité.

Ce numéro de marguerite est léger et frais comme un baiser sur la joue, il est rempli des parfums dont les reines et les princesses s'enveloppent depuis la nuit des temps pour révéler leurs aspirations les plus intimes.

Vous allez voir, c'est fou la joie, la sensualité et le soleil qu'on y respire…

Bonne lecture !

Dans ce numéro :

C’est leur histoire

L’envoûtant sillage des reines de Grande-Bretagne

En haut : Catherine Middleton le 29 avril 2011, jour de son mariage avec le prince William ; le portrait de la reine Victoria peint par Thomas Sully en 1838. Ci-dessus, de gauche à droite : les futures reines Mary (au tout début des années 1890) et Alexandra (en 1864).

Dès son premier séjour, en 1843, la France capture, et pour toujours, le cœur de Victoria. Un amour que l'on doit pour partie aux parfumeurs de l'Hexagone, que la première impératrice des Indes va à la fois promouvoir et inspirer. Elle ne leur connaît aucune faute de goût, apprécie les savons Roger & Gallet et leurs essences naturelles, la fragrance Bouquet de la Reine Victoria inventée pour elle en 1855 par Édouard Pinaud qui tient boutique à Paris, rue Saint-Martin. Ainsi que les créations de la maison Guerlain, qui, très tôt, vont être commercialisées en Angleterre. Dans la sphère privée, la souveraine fait imprégner ses gants d'eau de rose, et ses corsets de fleur d'oranger.

Derrière un parfum, il y a souvent une toile de fond où se dessine un rang social, une époque. Avec son charme toujours un peu fugitif, presque éthéré, Alexandra est la parfaite illustration de la figure féminine idéalisée par la bonne société de son temps. Il est alors recommandé aux femmes de laisser autour d'elles un sillage à la fois doux et léger, et donc de parfumer leurs dentelles ou leurs mouchoirs plutôt que leur peau ou leurs cheveux. Fidèle à sa fleur favorite, l'épouse d'Edward VII confie régulièrement sa présence impalpable de reine-fée à Red Rose, de la Maison Floris, une fragrance réputée pour ses accents veloutés.

JOUR DE MARIAGE : DES SENTEURS QUI METTENT LA PEAU EN ACCORD AVEC LE CŒUR

• En 1840, Floris compose Bouquet de la Reine (notes de tête : bergamote, bourgeon de cassis, pêche et feuille de violette) et l'offre à Victoria pour son mariage avec le prince Albert. Vingt ans s'écouleront avant que la fragrance soit disponible pour le grand public.

• Mary de Teck, elle, choisit Bridal Bouquet en 1893 pour épouser le futur roi George V – le parfum a été créé à son intention par J. Grossmith & Son, implanté en partie à Grasse, dans le Sud de la France.

• Le matin du 29 juillet 1981, avant de partir pour la cathédrale St Paul, Diana Spencer fait une petite tache sur sa robe en renversant par mégarde un peu de son parfum, Quelques Fleurs de Houbigant. Une Maison française qui a fourni les cours impériales et royales d’Europe dès sa création, en 1775.

• Au printemps 2011, le mariage de Catherine Middleton et du prince William assure une renommée considérable à White Gardenia Petals (notes de cœur : gardenia blanc, ylang ylang et jasmin). Un parfum Illuminum London que l'on ne peut plus se procurer aujourd'hui.

👑 L'Heure Bleue, disait Jacques Guerlain, son inventeur, c'est « le parfum de l'heure suspendue, celle où l'homme se retrouve enfin en harmonie avec le monde et la lumière ». En septembre 2022, ses ventes s'envolent après la disparition d'Elizabeth II, dont il était l'une des fragrances favorites. On n'insistera jamais assez sur la puissance, en Grande-Bretagne comme ailleurs, de l'association entre parfum et royauté. Un documentaire de la chaîne britannique BBC révèle que le précieux chrême avec lequel la souveraine a été ointe lors de son couronnement en juin 1953 se trouvait, depuis cette date, conservé dans un flacon… de Mitsouko, l’un des « légendaires » de Guerlain.

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Elizabeth II

Les parfums de sa vie

Si jamais vous passez par Londres cet été, courez toutes affaires cessantes 89 Jermyn Street, dans le quartier de St James. C’est là que bat, depuis plus de trois-cents ans, le cœur du parfumeur des souverains de Grande-Bretagne.

La reine Elizabeth II avait fait de Floris son fournisseur officiel. Leur récit commun commence en 1926, lorsque la Maison célèbre la naissance de la petite-fille de George V avec Royal Arms, une fragrance aux accents de violette, de rose et de jasmin. Un lien se crée, il restera. Le matin de son mariage avec le prince Philip, Elizabeth dépose sur son cou et ses poignets quelques gouttes de White Rose, un bouquet de roses blanches rehaussé d’iris et de musc qui est l’une des senteurs phares de la marque depuis le début des années 1800. Celle-ci va maintenant accompagner son histoire. Celle de sa vie de femme, de sa famille, et de son règne.

Quelques notes de muguet et six flacons anciens

En 2002, année du cinquantième anniversaire de son accession au trône, Floris revisite Bouquet de la Reine, composé à l'origine pour Victoria, et y intègre des notes de muguet, la fleur préférée de la souveraine. Dix ans plus tard, il commercialise une « édition de Diamant » de l’eau de parfum Royal Arms. Six bouteilles de parfum sont également éditées, portées par des flacons anciens qui étaient restés stockés dans la boutique, enveloppés dans un journal datant de la Première Guerre mondiale. L’une d’elles est offerte à Elizabeth II.

La souveraine s’éteint en septembre 2022, l’année du soixante-dixième anniversaire de son règne. Floris vient alors de fêter son nouveau – et ultime – jubilé avec Platinum 22, un mélange d'iris, de rose et de cassis enrichi de cèdre et de fève tonka…

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De Cléopâtre à Victoria

« L’odeur de la peau des femmes a très vite été associée à des enjeux politiques et moraux »

La toute jeune reine Victoria, peinte en 1843 par Franz Xaver Winterhalter, et la comédienne Elizabeth Taylor dans le rôle de Cléopâtre, au cinéma, en 1963.

Spécialiste du parfum, l’historienne et écrivaine Élisabeth de Feydeau raconte dans son nouveau livre, Les voluptueuses : une histoire parfumée des femmes de légende (éd. Flammarion), les liens puissants entre le pouvoir des reines et les senteurs les plus fabuleuses.

Marguerite : En quoi le parfum était-il, à l'origine, ce qui liait la royauté au divin ?

Élisabeth de Feydeau : La légende veut que la fabrication des huiles de senteur ait été enseignée par le dieu égyptien Thot à ses prêtres, qui sont ainsi devenus, dans l'Antiquité, les premiers parfumeurs. Le parfum, du latin per fumare (« à travers la fumée »), désigne au départ une fragrance libérée par la fumée qui met en relation le ciel et la terre. Il est ce qui divinise le pharaon. C'est pourquoi mon livre ouvre sur l'histoire de Cléopâtre, à qui son statut de reine d'Égypte a permis d'avoir accès au parfum, et donc de voir son pouvoir associé à celui des dieux.

Cléopâtre mange des pétales de roses, comme si elle avait le désir ardent de devenir à son tour une fleur à la beauté incomparable.

Sa parfaite connaissance des parfums et de leurs propriétés a-t-elle contribué à la légende de la reine d’Égypte ?

Élisabeth de Feydeau : En partie seulement, car elle était surtout érudite, polyglotte et d'une très grande force de caractère. Il faut aussi rappeler qu'à l'époque, la tradition égyptienne invite à s'occuper de son corps et à chercher le bonheur dans l'instant présent. Pendant la toilette de la reine, on lui fait respirer des fleurs de lotus. Après un massage aux huiles odorantes, une servante passe sur son corps une eau parfumée, dont Cléopâtre s'est au préalable empli la bouche. La reine connaît le pouvoir des fragrances qui restent sur la peau, comme le métopion, à base d'huile d'amande amère, d'huile d'olive verte, de cardamome, d'acore, de miel, de vin et de myrrhe. Elle a aussi recours aux pétales de roses. Il lui arrive d'ailleurs d'en manger, comme si elle avait le désir ardent de devenir à son tour une fleur à la beauté incomparable.

Le parfum lui permet aussi, lorsque les circonstances le demandent, de redevenir tout simplement… une femme.

Élisabeth de Feydeau : En 41 avant notre ère, elle l'utilise pour envoûter Marc Antoine, auprès duquel elle vient défendre les intérêts de l'Égypte. Elle part à sa rencontre à bord d'un navire dont les voiles ont été imprégnées d'un parfum voluptueux. Son corps est huilé de mélanges sacrés à base de myrrhe, d'aromates, d'agrumes et de fleurs. À son arrivée, de l'encens est répandu sur le rivage. Cléopâtre est sûre d'elle, bientôt le consul de Rome va nouer avec elle des liens politiques… et passionnés.

Diriez-vous que le parfum est l'une des armes dont les femmes disposent depuis la nuit des temps pour conquérir le pouvoir qui, dans les faits, leur est refusé ?

Élisabeth de Feydeau : Oui, il est une force de séduction autant que d'émancipation, il est ce pouvoir invisible et puissant qui annonce la femme, qui signe sa présence et qui perpétue son souvenir lorsqu'elle est partie. Voilà aussi pourquoi il va aussi devenir un instrument critique du pouvoir féminin. Pour certains historiens romains, Cléopâtre a fait perdre la raison à Marc Antoine avec « des pratiques de sorcellerie ». L'odeur de la peau des femmes va très vite se retrouver associée à des enjeux politiques et moraux. Aux femmes licencieuses, les parfums capiteux qui cachent l'odeur du péché. Aux femmes convenables, le parfum des fleurs discrètes qui révèle l'odeur de la vertu.

On découvre d'ailleurs dans votre livre à quel point celui de la violette tient une place à part dans l'histoire récente des reines…

Élisabeth de Feydeau : On la retrouve chez Sissi, dont elle était le parfum favori, chez l'impératrice Eugénie, l'épouse de Napoléon III, ou encore chez Victoria, qui était fidèle à la ligne Violette de Parme de la maison Roger & Gallet. Le XIXe siècle est plutôt puritain, il célèbre la femme vertueuse, douce et effacée, celle qui, justement, a une âme de violette – la violette est une fleur de l'ombre, et dans le fond ce que l'on attend d'une femme à l'époque c'est qu'elle reste dans l'ombre de son conjoint. Victoria va d'ailleurs se construire une image d'épouse modèle, conforme aux attentes de son temps, tout en restant par ailleurs la reine très attachée à ses prérogatives que l'on connaît. L'histoire du parfum est indissociable de ces récits où il est question de pouvoir, de dissidence, de soumission parfois, mais surtout d'une liberté parfaitement assumée.

📚 Élisabeth de Feydeau est également l’auteure du Dictionnaire amoureux des parfums (éd. Plon), et de L’herbier de Marie-Antoinette (éd. Flammarion).

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Six femmes

Séduction, jalousies et poisons à la Cour de France

Madame de Pompadour à sa toilette, par François Boucher (1758)

Elles sont impératrices, reines ou courtisanes… Élisabeth de Feydeau explore dans son livre, Les Voluptueuses, les souvenirs, les émotions et les stratégies qui façonnent leur relation au parfum.

Raffinée. Au XVIe siècle, Catherine de Médicis lance la mode des gants parfumés. Ceux-ci sont placés plusieurs jours durant entre des lits de fleurs – violettes, jonquilles musquées, jacinthes, jasmin, roses muscades, fleurs d’oranger ou encore œillets cramoisis. Procédé qui vaudra bientôt aux gantiers le titre envié de parfumeurs.

Jalouse. Exaspérée par les infidélités de son époux, le roi Henri IV, Marie de Médicis calme ses nerfs après chaque scène de ménage avec l'Acqua di Santa Maria, dite « eau anti-hystérique ». Une des fragrances de la parfumerie-pharmacie italienne de Santa Maria Novella, à Florence, dont elle s'est faite l'ambassadrice.

Sulfureuse. Nimbée le jour comme la nuit d'un entêtant sillage, la marquise de Montespan, favorite de Louis XIV à partir de 1667, se fait frictionner nue avec des pommades odorantes deux à trois heures par jour. Si le parfum est un luxe et un élément de la parure des courtisans, la belle Athénaïs tire aussi parti des propriétés aphrodisiaques de la tubéreuse, une fleur blanche à longue tige cultivée dans les jardins de Versailles. Le roi, qui souffre de migraines, finira par trouver ces senteurs incommodantes. La fin du règne de la belle marquise sera également entaché d'infamie puisqu'on finira par la soupçonner d'être une empoisonneuse, habile à user de l'odeur des fleurs pour dissimuler ses préparations.

Affectueuse. C'est à la marquise de Pompadour que l'on doit l'introduction de l'eau de Cologne à la Cour, au début des années 1760. Sachant son ancien amant le roi Louis XV hypocondriaque, elle lui fait découvrir cet élixir auquel on prête des vertus médicinales, fabriqué à partir d'une macération d'écorces d'agrumes et de romarin distillé. La préparation, que l'on nomme alors Eau admirable, a été inventée par Giovanni Paolo Feminis, qui tenait commerce dans la ville allemande.

Piquante. Joséphine, qui a gardé de ses Antilles natales le goût des senteurs capiteuses, initie en France la mode des parfums exotiques à base de cannelle, de vanille ou encore de clou de girofle. Elle aime l'empreinte du musc, une sécrétion animale importée de Chine provenant du daim musqué, dont l'odeur particulièrement prenante irrite Napoléon Ier, qui a l'odorat délicat. On raconte que, plusieurs dizaines d'années après sa disparition, en 1814, le cabinet des bains de l'impératrice à Malmaison en était encore imprégné.

Sage. Eugénie raffole du patchouli et de ses senteurs enveloppantes, dont la mode revient en force sous le règne de son époux, Napoléon III. Mais ce parfum sensuel et puissant est associé dans les esprits aux élans de l'alcôve et à une forme de séduction troublante. Confrontée à l'infidélité chronique de son mari, l'impératrice choisit donc de se différencier des courtisanes qu’il fréquente en adoptant des fragrances plus « convenables ». En 1853, Guerlain lui dédie une Eau de Cologne Impériale aux essences de petit grain citronnier, de bergamote et de néroli.

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Le pouvoir mystérieux de la violette

Portrait d’Eugénie de Montijo, impératrice des Français, par Pierre-Désiré Guillemet (1857).

En avril 1880, Eugénie, veuve de Napoléon III, décide de se rendre en Afrique du Sud pour se recueillir là où son fils unique, Louis-Napoléon, a été tué un an plus tôt en combattant dans les rangs de l'armée britannique. Alors que son entourage désespère de retrouver le lieu, perdu entre les monts Drakensberg et l'océan Indien, l’impératrice, elle, se dit guidée par un puissant parfum de violette semblable à celui qu'affectionnait le prince. Et, après des heures de marche, parvient à l'endroit exact, identifié par une petite stèle de pierre, où son fils a perdu la vie.

Très bel été et à bientôt !

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📸 Crédits photos : Ouverture : PA Images / Alamy, Tim Graham / Getty Images, DR ; L’envoûtant sillage des reines de Grande-Bretagne : Emilia Whitbread / Alamy, DR ; Elizabeth II, les parfums de sa vie : SuperStock / Alamy, Smith Archive / Alamy, PA Images / Alamy, www.florislondon.com ; De Cléopâtre à Victoria : Royal Collection Trust, Silver Screen Collection / Getty Images ; Élisabeth de Feydeau : Olivier Tissot ; Six femmes : DR ; Le pouvoir mystérieux de la violette : DR ; À bientôt ! : Rex Features.

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